Entre-deux / 2016
Dans cette série, j’aborde le thème de l’eau à travers les espaces nébuleux et indistincts de l’entre-deux. Loin d’être neutres, ces lieux intermédiaires fragiles et incertains entrent en collision / résonance avec les caractéristiques intrinsèques de l’eau. Les intervalles, composés de blancs, de noirs, de silences et de grondements, de zones diffuses et floues, trouvent leur origine dans les propriétés physiques de l’eau qui passe de sa forme gazeuse à sa forme liquide puis solide. L’eau laisse apparaître des univers n’appartenant à aucun monde précis et défini. Ses capacités de réflexion et d’absorption de la lumière, sa surface mouvante qui tend perpétuellement à vouloir retrouver sa planéité et ses changements constants d’état nous entraînent vers des lieux inconnus, souvent proches de l’horizon, souvent loin du regard.
Cette dimension poétique de l’eau me sert ici à questionner la nature et la réalité immédiate que notre œil perçoit.
Ce travail est composé de trois diptyques ( Mare vaporum - Mer des Vapeurs, Mare undarum - Mer des Ondes & Mare frigoris - Mer du Froid ) qui illustrent chacun un état physique de l’eau et montrent une réalité statique immédiate directement perceptible et compréhensible. Seul l’œil du spectateur pourra apporter mouvement au rapport figé que les photos entretiennent entre-elles. Par son regard, passant d’une photo à l’autre, il créera de nouveaux paysages imaginaires éphémères et mouvants. Dans ces espaces de confusions où tous les sens se mêlent et s’entremêlent, chacun pourra ainsi poursuivre son propre cheminement mental en comblant, ou pas, ces zones mouvantes de souvenirs, d'histoires et de rêves…
Donner à ces diptyques le nom de trois mers lunaires me permet d'illustrer cette infinité de mondes possibles, visibles et invisibles.
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Michel Handschumacher I Photo, texte & montage
Bruno Fleutelot I Son & Musique
Entre-deux conduit le spectateur vers des paysages imaginaires mouvants en créant de nouveaux champs de dialogue entre les images. « Objet » unique et indépendant, il fait également le lien vers chaque séquence du projet lorsque celui-ci est présenté dans son ensemble (photos & films).
Le film au rythme très lent, composé de fondus enchaînés continus, présente des espaces furtifs et mouvants qui entrent en résonance avec les images statiques des diptyques. Les vues s’y fondent et s’y croisent en de longues surimpressions, créant de nouveaux paysages fictifs et fabuleux. Projeté en boucle, il évoque un entre-deux imaginaire qui rappelle le cycle perpétuel de l’eau, passant lentement d’un état à un autre.
Élaboré et pensé uniquement à partir des photos qui composent les diptyques, le film est accompagné d’une musique spécialement composée par l’auteur-compositeur-interprète Bruno Fleutelot. Ces espaces sonores induisent une approche nouvelle et une forme de lecture différente de l’ensemble.
Notre collaboration artistique, entamée en 2014, a engendré la création de plusieurs films-photographiques. En 2015, le film Le temps n'efface pas les erreurs est récompensé du Prix du public aux Rendez Vous de l'Image de Strasbourg et présenté au Conseil de l'Europe ainsi qu'au festival Visa OFF de Perpignan. En 2016, Le ruban noir est remarqué et nommé Coup de coeur 2016 / Prix International des Nouvelles Ecritures et projeté dans le cadre de festivals internationaux du film-photographique ( Zoom Photo festival 2016 de Saguenay / Canada, Transizioni Due / 2017 à Bergamo / Italie...).
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Note d'intention musicale pour Entre-deux / texte de Bruno Fleutelot
La composition de la première partie du film s'appuie sur une pulsation rythmique, sourde, qui dans ses cassures, arrêts et reprises évoque une idée de continuité mise à mal par les aléas de la matière, en l'occurrence les différents états physiques de l'eau qu'elle soit liquide, gazeuse ou solide. Entre pérennité et fragilité.
Une deuxième strate de la composition repose sur une opposition entre des sons vastes et éthérés, fortement spatialisés, et d'autres, au contraire, beaucoup plus proches, secs et directs. Entre immensité et intimité.
Pour la seconde partie du film, c'est en utilisant un schéma harmonique proche de ceux utilisés par les compositeurs impressionnistes français (Ravel, Satie, Debussy) que la musique entend proposer d'autres espaces imaginaires. Les climats ainsi créés s’affranchissent de l’habituelle opposition tension / résolution pour s'intéresser, au contraire, à une forme d'immobilisme mouvant. Tout se passe comme s'il n'y avait ni début ni fin, ni espoir ni crainte.
La musique n'annonce rien, n'appelle rien, pas plus qu'elle ne résout quoi que ce soit. Entre mouvement et immobilité.
Parallèlement à ce travail harmonique, un ensemble de sons concrets, fait de craquements, suintements, bruits d'air et d'eau qui vont et viennent de manière apparemment aléatoire, s'attache à créer un contrechamp « terrien » à cette première couche plus « aérienne ». Entre l'esprit et le corps.
Ces deux pièces accordent une importance toute particulière aux textures et sonorités qui les constituent, éléments aussi importants que le travail de composition musicale à proprement parler. Il s'agit d'évoquer un univers avant tout tellurique, quasi tangible, matériel et sensible.